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L’affluence sur la « Jellaba Ouazzania » pour Ramadan subit les contraintes de la pandémie
C’est un silence pesant qui règne dans la “Souika » de l’ancienne médina d’Ouezzane. Quelques artisans et commerçants dans leurs locaux et quasiment la moitié des commerces fermés, alors que l’autre moitié est restée ouverte presque à contre cœur, telle est la situation engendrée par le manque d’affluence des clients sur les produits artisanaux, notamment ceux à la recherche d’habits traditionnels pour se préparer à accueillir le mois sacré de Ramadan.
En raison de la pandémie, l’activité économique de cette ville, basée sur l’artisanat, est à l’arrêt, en particulier les métiers liés au tissage et au commerce des coupons en laine, connus localement sous les termes “Rokâa” ou “Kharqa”, ainsi que la confection artisanale de l’authentique “jellaba Ouazzania” en laine, et la fabrication des babouches traditionnelles en cuir “Balgha” et autres habits, qui connaissaient une certaine affluence à l’approche de célébrations religieuses.
A Ouezzane, où le nombre d’artisans est estimé à environ 6.000 personnes, règne l’ombre d’une crise silencieuse, vécue par les artisans avec beaucoup de patience et de dignité. Pour la deuxième année consécutive, les mesures sanitaires prises pour contrecarrer la propagation de la pandémie, ont limité le nombre des visiteurs de la ville et des voyageurs qui passaient par Ouezzane, ce qui a entraîné la baisse du chiffre d’affaires de tous les commerçants des produits artisanaux, engendrant la baisse de la demande de fabrication de ces produits.
Une situation résumée par Nourreddine Nouali, commerçant de gros et de détail de la jellaba Ouazzania dans la Souika, en disant vivre de “la baraka” et rien d’autre, expliquant que l’affluence sur les habits traditionnels a connu une grande régression depuis le début de la pandémie, que ce soit durant les fêtes religieuses, ou encore pour le Ramadan.
Pour sa part, Mohamed Ezrizri, couturier traditionnel, maniant l’aiguille avec dextérité, a confirmé une baisse de la demande avec la pandémie, parce que le commerce de la jellaba est tributaire du tourisme interne et de l’affluence des touristes sur Ouezzane, en plus de l’activité commerciale à l’approche du Ramadan qui n’a pas atteint, cette année, le niveau des années précédentes.
Si le consommateur ne voit que le produit semi fini, à savoir le tissu (kharqa) ou le produit fini, la jellaba, le processus de tissage passe par plusieurs étapes impliquant de nombreux métiers et un savoir-faire légué de générations en générations.
Le processus commence par l’achat de la laine de moutons des souks traditionnels. La laine est ensuite lavée, séchée et préparée par des femmes, activité qui a rendu célèbre le quartier “Chricher Al Kachryine” situé à l’ouest de la ville avant sa disparition avec les années. La laine est ensuite préparée grâce au “Karchal”, puis filée avec les outils traditionnels “Al Maghzal” et “Naoura” pour obtenir des fils de laine pouvant être tissés.
Après le tri des fils de laine et leur organisation selon leurs épaisseurs et leurs couleurs, arrive le rôle du tisserand “Adharraz” pour confectionner la “Kharqa”. Le tissage consiste à entrecroiser les fils de laine disposés dans le sens de la longueur avec des fils disposés dans le sens de la largeur, avec un va et vient d’environ 14 heures continues, voire plus selon la nature de la “kharqa”.
La conjoncture liée à la pandémie a freiné les artisans de la “Kharqa Ouezzania” dans l’accomplissement d’un rituel ancestral pour la promotion de ce commerce, à savoir “Dlala”, sorte de vente aux enchères qui se déroulait dans la place de la Souika. Une personne, le “Dalal”, fait le tour des commerces avec des tissus en laine pour les vendre au plus offrant. Une pratique ancestrale qui permettait aux commerçants et aux visiteurs de découvrir plusieurs produits et d’évaluer leurs qualités.
Après avoir choisi le tissu adéquat, l’acheteur le présente au couturier, la “Kharka” étant découpée sur mesure, avant d’acheter les boutons et des broderies “Sfifa” selon le goût du client pour ensuite commencer à confectionner la jellaba avec dextérité.
Pour Noureddine, c’est cette pratique dans le traitement de la laine, son tissage et sa couture, liée au savoir-faire de l’artisan ouazzani qui a donné ses lettres de noblesse à la jellaba ouazzania et contribué à sa notoriété qui dépasse les frontières. Il a, ainsi, précisé qu’il existe plusieurs types de jellabas selon les saisons et les températures tout le long de l’année.
En effet, nous constatons un recul de l’activité pour la deuxième année consécutive, a-t-il poursuivi, relevant toutefois que cela n’affecte nullement la qualité des produits, notamment ceux fabriqués localement comme les jellabas dites “Habba” et “Sousdi” avec ses différents types, jellabas embellies par le savoir-faire des artisans traditionnels qui jouent sur les couleurs comme le noir, le vert-bouteille et le gris.
Cette baisse d’activité impacte une frange entière d’artisans, le tailleur Mohamed Ezrizri a précisé que les revenus générés par chaque jellaba sont distribués à au moins cinq autres artisans impliqués dans la fabrication de ses composantes.
Comme l’artisanat est le noyau de l’économie à Ouezzane, il a invité les citoyens à accorder davantage d’intérêt à ce secteur d’activité et à acheter ses produits pour garantir sa continuité.
Malgré cette situation difficile, l’artisan traditionnel ouezzani continue de vivre avec patience et dignité, et lutte en silence pour assurer la pérennisation de cet habit traditionnel, qui a longtemps été symbole de l’excellence et du raffinement.