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Dr najib Boulif: L’islam doit être en paix avec la république, mais la république doit aussi être en paix avec l’islam

Bonjour,

Cher député, je vous remercie pour les quelques courriels que vous m’adressez de temps à autre pour que je puisse être au courant de ce que vous faites, en tant que parlementaire, dans votre 9ème circonscription. Votre dernière lettre a soulevé la dernière visite du ministre français des affaires étrangères, et pendant laquelle vous avez tenu à nous assurer « qu’en France l’Islam a toute sa place ».

Permettez-moi de saisir, à la hâte, cette occasion pour partager avec vous quelques préoccupations, qui sont celles de plusieurs de vos compatriotes en France.

Je commencerai de prime abord par vous signifier mon indignation, et celle des milliers de musulmans de France et du monde (des millions) quant aux propos tenus dernièrement par Mr le Président français sur l’Islam et l’Islamisme…En effet, en tant que musulman, je me sens offusqué par les affirmations du Président lorsqu’il dit que :« L’islam est une religion qui vit une crise aujourd’hui, partout dans le monde. Nous ne le voyons pas que dans notre pays, c’est une crise profonde qui est liée à des tensions entre des fondamentalismes, des projets justement religieux et politiques qui, on le voit dans toutes les régions du monde, conduisent à un durcissement très fort, y compris dans des pays où l’Islam est la religion majoritaire. Regardez notre amie, la Tunisie, pour ne citer que cet exemple…Il y a donc, une crise de l’Islam, partout qui est gangrené par ces formes radicales… ».

Mon indignation est telle que je me demande comment Un Chef d’Etat peut-il se permettre, publiquement, de juger « négativement » la religion de presque 2 milliards d’individus ? Sur quelles bases le fait-il ? Quels sont les critères d’évaluation qui lui ont permis d’arriver à cette conclusion ? si ce n’est ses intentions « politiciennes » pour une éventuelle récupération des voix de l’extrême droite, voire même ses « maigres » connaissances en la matière, cumulées avec l’influence exercée par les médias et les « obscurantistes » qui voudraient que la France s’enlise dans une confrontation ouverte contre l’Islam. Cela ne fera que cumuler/croitre les difficultés de la France à « soigner » son image de marque, très entachée dans le monde musulman (d’ailleurs son intervention tardive à aljazeera relevait bien de cette tache). D’ailleurs à l’entendre parler du fait qu’il ne faut pas « tomber dans le piège de l’amalgame tendu par les polémistes et par les extrêmes qui consisterait à stigmatiser tous les musulmans », on peut se demander réellement s’il y a pire stigmatisation que celle qu’il vient de faire ?

On nous a appris à l’école que « juger une chose découle de la perception qu’on en fait », ce qui me pousse à vous rappeler, et par votre intermédiaire, à Mr le Président, que l’évaluation de l’Islam et de son prophète doit se faire par des spécialistes savants, et non par des « politiques » qui sont souvent prêts à bondir, avec des plans d’action tout azimut, dans le but essentiel de conquérir un certain électorat qui pourrait faire pencher la balance en leur faveur. D’ailleurs, si on doit se baser sur une certaine évaluation objective, on pourrait se référer à l’histoire/culture française elle-même, dans laquelle on relève plusieurs avis sur l’Islam et son prophète, je me contenterai dans cette présentation rapide de citer Alphonse de Lamartine qui a écrit dans (Histoire de la Turquie, 1853) :

« Jamais homme ne se proposa un but plus sublime….restaurer l’idée rationnelle et sainte de la divinité dans ce chaos de dieux matériels et défigurés de l’idolâtrie…Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens, l’immensité du résultat sont les trois mesures du génie de l’homme, qui osera comparer humainement un grand homme de l’histoire moderne à Muhammad?(question plus pertinente en ce 21ème siècle)…Il a fondé sur un livre dont chaque lettre est devenue loi, une nationalité spirituelle qui englobe des peuples de toutes les langues et de toutes les races, et il a imprimé pour caractère indélébile de cette nationalité musulmane la haine des faux dieux et la passion du Dieu un et immatériel…L’imposture est l’hypocrisie de la conviction. L’hypocrisie n’a pas la puissance de la conviction, comme le mensonge n’a jamais la puissance de la vérité. (…) Philosophe, orateur, apôtre, législateur, guerrier, conquérant d’idées, restaurateur de dogmes, fondateur de vingt empires terrestres et d’un empire spirituel, voilà Muhammad. À toutes les échelles où l’on mesure la grandeur humaine, quel homme fut plus grand?»…

Un texte qui devrait certainement être enseigné dans les écoles de France dans le cadre des connaissances civilisationnelles, et ce serait sans aucun doute intellectuellement plus profitable aux élèves que des caricatures du Prophète! ! !

Venons-en maintenant à la philosophie qui peut être derrière ces prises de position de Mr le Président, et qui se réfère à la laïcité. Et si je peux me permettre de donner un avis sur la « laïcité à la française », je commencerai par la situer par rapport aux autres laïcités des pays européens (et les autres pays bien sûr) pour mieux la comprendre. En faisant une première comparaison simple, on peut conclure que tous les pays européens sont laïques, mais sont tous différents ! Les histoires particulières de chacun d’eux ont produit des différentiations assez marquées de la laïcité.

Globalement on peut dire que la séparation des Eglises et de l’Etat, n’a de réalité qu’en France, car trois pays (France, Belgique et Portugal) sont les seuls à avoir inscrit une forme de Laïcité dans leur Constitution. Alors que bon nombre de Constitutions européennes trouvent leur source dans la transcendance (La reine d’Angleterre est chef de l’Eglise anglicane qui a le statut d’Eglise établie, le roi du Danemark appartient à l’Eglise évangélique luthérienne, religion d’Etat, En Grèce, L’orthodoxie est la religion officielle et la Constitution est promulguée au nom de la « Sainte trinité, consubstantielle et indivisible », de même que l’Irlande…). D’autres pays se basent sur la pilarité (liberté et conscience), c’est le cas par exemple de la Belgique et des Pays-Bas), et puis il y a les pays concordataires comme l’Espagne, l’Italie et l’Autriche…

Cela nous permet donc de distinguer les pays à « modèle de religion d’Etat » qui donnent « des privilèges dévolus à la religion majoritaire en échange d’une délégation de service public ». C’est le cas par exemple des pays scandinaves (Danemark, Islande, Finlande, Suède avant 2000 et Norvège avant 2012, ces deux pays sont passés au régime de séparation), de l’Angleterre, l’Ecosse (mais pas le pays de Galles et l’Irlande du Nord), la Grèce, la Russie, la Roumanie, la Bulgarie, et Malte qui garde une Eglise d’Etat. Puis on a les pays « des cultes reconnus », ou l’Etat signe des accords avec les différentes religions, c’est le cas de la plupart des pays européens. Ensuite on a « le régime de séparation », tel que défini dans l’article 2 de la loi française de 1905 sur la séparation des églises et de l’Etat, et qui stipule que « la République ne reconnait, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ».

D’ailleurs, pour ce qui est de la « laïcité à la française », certains spécialistes s’accordent sur son évolution engendrée par trois grandes ruptures. La première remonte à la Révolution lorsque le pouvoir de l’Etat change du Roi à la nation, en affranchissant l’individu et séparant l’Etat de l’église, avec bien sur la promulgation de l’article 3 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789 qui stipule que « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’émane expressément du peuple ». Une deuxième rupture a entrainé la séparation de l’école et des églises, de sorte que le prêtre s’occupe de l’église, l’instituteur de l’école, et le maire de la mairie. Et puis cette évolution a été orientée par une troisième rupture due à la séparation ultime de l’Etat et des Eglises, initiée par la loi du 9 décembre 1905, et confirmée par le 1er article de la Constitution de la République de 1958 stipulant que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »

Mais si on observe que dans tous les pays européens, une certaine distanciation entre l’Etat et l’Eglise est en marche, cela reste très différent du modèle français qui, s’il « présente le caractère le plus libéral et universel, il est loin de faire consensus », tant qu’il « reste isolé et menacé par le processus d’intégration ». Et vu que le paysage cultuel de la France en 2020 est complétement différent de celui du début du 20ème siècle (1905), une profonde réflexion doit être engagée par la société française pour proposer un nouveau modèle adapté aux changements sociaux, culturels et cultuels du pays, et cela n’est certainement pas le rôle du ministère de l’intérieur à mon avis! Car si l’option de ne pas avoir de religion, relève bien du domaine strictement privé, et c’est la tendance observée de la majorité des jeunes issus des autres religions autres que l’islam, on doit bien reconnaitre que cela ne doit pas être incompatible avec le fait qu’une bonne connaissance générale des autres religions est synonyme de tolérance, élément « indispensable à l’exercice de la citoyenneté démocratique », surtout que le nombre de la population de confession musulmane en France croit à un rythme soutenu. D’ailleurs une bonne partie de cette population est française, et ne peut être traitée au second plan, voire même qu’on prenne les décisions la concernant à sa place. Et donc si la « laïcité, telle qu’elle est conçue en France, est loin de faire l’unanimité tant par son application que par la représentation que les citoyens des autres pays peuvent s’en faire », il est donc urgent de la discuter pour la faire partager, et que toute idée de l’imposer conduirait à un acte anti laïque, car il relèverait d’un « concept dogmatique ».

Sur le plan de la perception, sachez cher député qu’une bonne partie des musulmans de France voit d’un mauvais œil les accusations portées à leur encontre, surtout lorsqu’ils sont taxés d’être contre la liberté, juste parce qu’ils n’acceptent pas qu’on caricature leur Prophète. Et là je tiens à vous rappeler, vous qui avez cette énorme chance d’avoir une double culture, qu’en Islam « On n’est un (vrai) croyant que si nous aimons le prophète plus que notre progéniture, que nos parents ainsi que tous les gens »…Donc voudriez-vous me dire quelle serait la réaction d’un citoyen de la chère France si on insulte ce qu’il a de plus cher dans sa vie ??? Peut-on lui reprocher d’être contre les principes de la république et de la liberté s’il manifeste une quelconque réaction de défense -légale et pacifique- de son bien-aimé ? Comment oser parler de liberté quand elle s’exerce par certains (qui peuvent être manipulés dans le but de créer des tensions amenant à faire passer ou à prendre des décisions cruciales, pour ne citer que ce but) d’une manière qui porte de l’offense ? Nelson Mandela ne disait-il pas : « Etre libre, ce n’est pas seulement se libérer de ses chaines, c’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres.». Et pour rester dans cette logique tout en étant direct, Mr le Président peut-il, au nom de la liberté et des fondements de la république, autoriser, par exemple, des caricatures (et rien que les caricatures) sur l’holocauste ? Ou sur la colonisation Israélienne de la Palestine ?

Vous savez cher député qu’il existe un arsenal juridique répressif dans presque tous les Etats du monde, contre les incriminations visant le délit de blasphème. Dernièrement, la Cour européenne des droits de l’Homme a statué sur le fait que « insulter, diffamer ou rabaisser, le prophète de l’islam Mohamed est un délit punissable et n’est pas compté au titre de la liberté d’expression ». De même qu’au Danemark, Autriche et Allemagne, on prévoit la « possibilité de détention de celui qui, publiquement, ridiculise ou insulte le dogme ou le culte d’une communauté religieuse. En Finlande, on punit de réclusion quiconque « aura publiquement blasphémé Dieu », et on trouve des dispositions pareilles dans les législations pénales suédoises, norvégiennes, néerlandaises, irlandaises, italiennes, grecques. Les lois de la république aussi sanctionnent et réprimandent tous les actes (même les caricatures) comportant un Outrage à agent public, ou une offense au chef de l’Etat, qui sont qualifiés de « délits contre les personnes » ou « délits contre la chose publique », alors quand il s’agit du prophète de presque 2 milliards de personnes, on invoque la liberté d’expression !!! Or pour nous musulmans, caricaturer le prophète est bien plus qu’une injure ; c’est une sorte de parole dessinée offensante adressée délibérément contre des milliards de personnes « dans le but de les blesser moralement, en cherchant à les « atteindre dans leur estime de soi, leur honneur ou leur dignité ». Ça peut même être qualifiée d’outrage, vu la nature et le nombre des personnes injuriées et outragées, et vu la symbolique du prophète. Et ayant vécu plusieurs années en France et dans ses « prestigieuses » universités (juridiques et économiques), on nous avait bien enseigné que la république reconnait bien ses antécédents juridiques en la matière. D’ailleurs la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 par exemple distingue et sanctionne « l’injure raciste, la diffamation, la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » ?

Or lors de l’hommage au professeur Samuel Paty le 21 octobre 2020, Mr le Président n’a pas cessé de « marteler»: « Nous ne renoncerons pas aux caricatures », et que « nous continuerons, oui, le combat pour la liberté et pour la raison »…Ce qui laisse entendre que c’est une prise de position étatique sans équivoque sur les caricatures, et par la même sur leur contenu (et celui de Charlie-hebdo) qui a déclenché le « malaise ». Et vu que Mr le président a justifié cela par la « raison », je me permets de lui rappeler à travers vous, qu’il ne suffit pas d’annoncer (seulement) que l’Islam a bien sa place en France, mais la raison voudrait qu’il y ait une volonté politique réelle, pour que « l’islam puisse être en paix avec la république »…mais aussi pour que la république puisse être en paix avec l’Islam.

Certes, On ne peut que se réjouir d’entendre dire que l’objet actuel du pouvoir public est que les « français de confession musulmane puissent vivre paisiblement leur foi », mais qu’en est-il des autres (millions) musulmans citoyens de la république, dont certains y vivent pendant plusieurs décennies, qui ne sont pas français, et dont certains (ou leurs descendants) ont combattu dans l’armée et les régiments français pour défendre le France pendant la deuxième guerre mondiale ou en indo chine et ailleurs ? Et là, permettez-moi cher député de vous transmettre les grandes « peurs » et « frustrations » des musulmans de France. A chaque contact, débat, rencontre avec eux, le message que je retiens et qui revient continuellement, c’est la “Peur de l’avenir”. La peur d’être traité en citoyen de « deuxième » classe, dont les droits sont/seront conditionnés par la « bonne » conduite, telle qu’édictée par certains décideurs qui, en partie ou en totalité, ont des « préjugés » contre l’Islam, et qui font souvent l’amalgame entre la religion « Islam », et les actions et comportements de certains musulmans, qui parfois n’ont rien à voir avec l’Islam. Votre statut et votre culture, Mr le député, vous permettent de comprendre que l’Islam est la religion de paix par excellence, car même pendant les moments de guerre, elle interdit aux musulmans de viser les vieux, les enfants, les femmes non combattantes…et de bruler la végétation, etc. Mais que de « mauvais » musulmans, par leur ignorance ou mauvaise interprétation, l’utilisent pour commettre des actes odieux, déplorables et condamnables (comme ceux du mois d’octobre dernier) en attaquant des vies humaines ou en semant la peur et la terreur, ce qui ne peut en aucun cas être adossé à l’Islam…

Venons-en maintenant à l’avenir, à cette « peur de l’avenir » que ressent une bonne partie des musulmans de France.

Vous connaissez mieux que moi que le culte musulman en France se structure grosso modo autour de plusieurs associations indépendantes régies par la loi 1901, en l’occurrence GMP, FNMF, VOIF, CCMTF, FFAIACA…et qui sont (ont été) regroupées dans le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) crée en 2003, et qui est l’interlocuteur de l’Etat. Et déjà à ce niveau, beaucoup de choses doivent être revues par la communauté musulmane elle-même. Le problème de la représentativité est crucial, et le choix, déjà fait, de l’Etat de cerner cette représentativité à travers certaines associations peut être remis sur la table à nouveau pour trouver une bien meilleure combinaison.

Ensuite vient la fameuse « feuille de route » sur les « séparatismes ». Mais sans entrer dans les détails, ce que j’ai modestement pu retenir du discours de Mr le président aux Mureaux le 2 octobre 2020, contre les « séparatismes, la république en actes, c’est qu’il a dès le départ réduit le sujet des « séparatismes » à l’Islam: « Ce à quoi nous devons nous attaquer, c’est le séparatisme islamiste », « Car c’est un projet conscient, théorisé, politico-religieux, qui se concrétise par des écarts répétés avec les valeurs de la République, qui se traduit souvent par la constitution d’une contre-société ». Donc dès le départ, la couleur est annoncée, que ce soit par les mots ou la cible choisis, et par conséquent on ne peut que rejoindre les interprétations de plusieurs spécialistes qui y ont vu une « déclaration de guerre ». Contre qui ? Contre une partie de la population!!!

Dans son discours précité, Mr le Président dit que la laïcité, c’est la neutralité de l’État, et en aucun cas ça ne peut être l’effacement des religions dans la société dans l’espace public. Mais le problème c’est que la France applique « autre chose » que cela en essayant d’effacer tout signe religieux de l’espace public, même une mère ne peut pas aller chercher ses enfants à l’école (dans l’enceinte) en portant un voile! alors que Mr le Président aurait pu faire un benchmark des pratiques laïques dans les pays voisins, pour voir que la France continue « dans l’erreur » en appliquant une laïcité contreproductive socialement, qui n’aura de conséquences que vers plus de repli identitaire, de communautarisme et d’effacement de la société…

Si le premier axe de ce « réveil » et du « « patriotisme républicain » est « l’ordre public et la neutralité du service public », il n’y a qu’à voir ce qui se passe dans les pays voisins. En effet, si « la laïcité, est le ciment de la France unie, et si la spiritualité relève du domaine de chacun », comment oser imposer à certains des choses et des pratiques non conformes à leur spiritualité. Le ministre de l’intérieur parait en effet outragé par le fait qu’un enfant à l’école demande légalement son repas halal…mais ne s’offusque nullement lorsqu’il oblige ce même enfant à manger ce qui est interdit par sa religion, sous prétexte qu’il ne faut pas diviser la société (sic). En d’autres termes pour garder une France unie, il ne faut pas chercher à avoir une nourriture halal, il faut que tout le monde mange, entre autres, du porc ! (pour caricaturer la réalité souhaitée)

Cela n’a rien à voir avec la neutralité du service public, qui à mon sens signifie qu’on présente différents produits et services, et que chaque citoyen soit libre, oui libre, de choisir ce que bon lui semble…

Pour ce qui est du deuxième axe concernant les associations, je comprends parfaitement les méfiances des autorités qui cherchent à stopper le déploiement de certains en faveur de stratégies assumées d’endoctrinement, et ce par l’installation « d’un dispositif anti-putsch, très robuste, dans la loi, qui permettra d’éviter que ces protagonistes qui sont les plus subtils, les plus sophistiqués, n’utilisent les faiblesses de nos propres règles pour venir prendre le contrôle des associations cultuelles et des mosquées ». Mais il faut reconnaitre que de telles pratiques ne sont pas propres aux seules associations d’obédience musulmane, on les trouve partout dans toutes les associations. Ma crainte est que si l’Etat s’ingère d’une manière indirecte dans ces associations, par ses « propres pions », il risquerait d’avoir en fin de compte des « coquilles vides », et que les individus qui devaient normalement s’y trouver chercheraient d’autres structures/refuges, peut être illégaux, pour se réunir et discuter. Ma critique peut même aller jusqu’à dire que l’Etat, en voulant éviter l’endoctrinement de certains, va les faire endoctriner lui-même par sa propre vision ; celle d’un Islam français, que le quatrième axe de la stratégie du « réveil républicain » appelle un « islam des Lumières », car –disait Mr le Président « il nous faut aider cette religion dans notre pays à se structurer pour être un partenaire de la République pour ce qui est des affaires que nous avons en partage ». Et pour cela, l’Etat libérera l’islam en France des « influences étrangères », que ce soit au niveau de l’organisation même de l’Islam consulaire, concernant l’arrêt de la formation des imams dans les pays (Turquie, le Maroc et l’Algérie) , ainsi que l’arrêt de la venue régulière des psalmodiers, ou au niveau du financement en incitant les mosquées à sortir de la forme associative (1901) pour basculer vers le régime prévu par la loi de 1905. En plus de la « labélisation des formations d’imams», « la certification des imams » et « la charte des valeurs républicaines des imams » dont le non-respect entraînera la révocation des imams, et que le CFCM a été pressé –hier- par la chef de l’Etat de présenter cette charte dans un délai de 15 jours, sous l’égide de Beauvais !

Un ultimatum qui ressemble bizarrement à celui qu’a donné Mr le Président aux libanais pour former leur gouvernement sous quinzaine…Quatre mois après, on voit le résultat, de nouvelles voix s’insurgent contre l’ingérence de la France, et il n’y a toujours pas de gouvernement. La France doit savoir/reconnaitre que les mécanismes de fonctionnement au sein de ces communautés – comme en France- sont complétement différentes de la logique à la française…Et c’est là l’un des vrais problèmes à résoudre ; la gouvernance du projet des « indépendances ».

Cette manière de traiter, en termes de méthodologie de travail, l’Islam comme les autres religions ne peut pas donner les résultats escomptés. L’islam ne peut pas être « calibré », on ne peut pas le faire entrer dans un moule pour en sortir un « produit prêt à l’usage », car tout simplement l’Islam est plus qu’une religion, telle qu’elle est appréhendée chez les occidentaux, l’Islam est un mode de vie quotidien, qui va de la maison, à l’école, au travail, au magasin et partout ailleurs…et les musulmans sont tenus de se conformer à ses préceptes dans tous ces lieux et dans n’importe quelle position. Le fait de parler d’un musulman « non pratiquant » relève d’une réalité qui n’est pas la nôtre car pour un musulman « la foi c’est ce qui raisonne dans le cœur et qui se traduit en actes ». Dans cette logique, on comprend mieux que l’Islam s’apprend en famille, dans son entourage, à travers les réseaux sociaux et de communication…et si on doit préparer des « imams à la française », tels que certains pays musulmans le font ou essaient de le faire, ils seront certainement boudés et ne feront plus le travail que l’Etat souhaiterait qu’ils fassent.

Et pour ne pas être très long dans ma lettre, que je voulais rapide et succincte, je terminerai avec un avis personnel…un avis de quelqu’un qui veut du bien à la relation Islam-France, avis de quelqu’un qui a vécu longtemps en France, à un moment crucial de sa vie, et qui a côtoyé les jeunes et les vieux de tout bord et de toute confession, qui a vécu dans les cités universitaires, les HLM et les foyers Sonacotra, qui a travaillé dans de petites et grandes entreprises françaises, et qui a partagé avec les français les bons et les moins bons moments de la vie…

Comme Mr le Président l’a bien dit « La France a elle-même construit son « propre séparatisme ». En effet, contrairement aux nombreux pays voisins qui ont plus ou moins réussi l’intégration de différentes communautés, la politique de peuplement et de la formation des cités/ quartiers en France a entrainé la constitution de vrais « ghettos », concentrant les populations en fonction de leur origines, de leur milieux sociaux, et parfois de leur religions, venant de plusieurs pays du (tiers) monde, qui ont chacun leurs habitudes et leurs trains de vie complétement différents. On pensait « évacuer » ces citoyens « géographiquement » pour empêcher tout contact, au moins résidentiel, avec les « autres citoyens », mieux appréhendés…Y-a-t-il réellement pire « séparatisme » que celui-là ? Cela devait alarmer de sitôt les responsables politiques du grand danger qu’aller entrainer cette « concentration de la misère et des défaillances éducatives, économiques et sociales, et la marginalisation croissante qui s’en ai suivie ». Je me rappelle que déjà dans les années 80 du siècle dernier qu’il me fallait des heures et des heures pour faire comprendre à certains jeunes résidents de ces ghettos qu’il fallait défier cette situation par l’apprentissage, l’éducation, la réussite dans la vie, pour espérer un jour se porter en défenseur de l’égalité des chances de tous les citoyens français…Et je me réjouis d’ailleurs de voir aujourd’hui qu’une minorité d’entre eux ont réussi dans leur vie…

Je me « battais » parfois contre les parents de certains de ces jeunes qui voulaient « sortir » leurs enfants de l’école pour les orienter vers des formations professionnelles leur permettant un gain-pain qui leur servirait d’ascension sociale pour sortir de ces ghettos, vers des logements et des quartiers plus décents. Et avec la même vigueur et la même force de combat, j’essayais de faire comprendre aux réunions des classes et d’orientation qu’il était parfois malhonnête de forcer des élèves (de ces communautés) vers la formation professionnelle juste parce qu’ils sont d’origine arabe ou africaine…j’en retiens, malheureusement, des dizaines de cas dans ma mémoire…

Rares sont les responsables de l’époque, et même après- qui répondaient présents et s’occupaient de ces situations, jusqu’au jour où ces « citoyens » commençaient à prendre leur sort en main et à choisir leurs représentants locaux, municipaux et parlementaires, et là la sonnette d’alarme a été tirée par beaucoup de gens, qui voyaient cela d’un mauvais œil car ça pouvait être un réveil « dommageable » à la « république ». En d’autres termes, lorsqu’ils n’avaient pas (ou ne voulaient pas) utilisé leurs droits constitutionnels, de la république, pour protester et changer leurs conditions de vie, personne (ou presque) ne se gênait pour aller s’enquérir de leur sort, mais lorsque des voix commençaient à les représenter et à parler d’eux, des réactions « étonnantes » ont été détectées ici et là. Je relève dans les propos de Mr le président lui-même le fait qu’il parle « Des élus, parfois sous pression de groupes ou de communautés, ont pu envisager et peuvent envisager d’imposer des menus confessionnels à la cantine… créneaux d’accès aux piscines…. ». Ces mêmes propos ont été tenus avant lui publiquement par l’ancien premier ministre B.Gaseneuve dans le Parisien: «L’altération lente de principes fondamentaux comme la laïcité, certaines petites lâchetés et concessions médiocres face au communautarisme, au moment des élections locales notamment, ont abîmé le pacte républicain et affaibli le vivre ensemble»…«Cela concerne des formations politiques dont les élus se sont compromis pour gagner les élections municipales ou entretenir des clientèles électorales afin d’être réélus. Il y a aussi l’islamo-gauchisme qui regarde avec les yeux de Chimène certaines organisations communautaristes qui ont en elles une défiance, pour ne pas dire une forme de haine de la République.»…

Et voilà la sentence est tombée ! alors que le vrai travail de fond aurait été d’aller au fond des choses, pour les changer de fond en comble, en traitant les causes mêmes de ces séparatismes existants pendant des décennies, et pour enrayer les insuffisances de la politique d’intégration, et développer une stratégie cohérente de lutte contre les différents types de discrimination. Je serai très satisfait de voir la France faire une étude comparative de causes à effets (avec les autres pays européens) pour voir si ces anciennes politiques d’intégration (ratées) sont en relation avec le fait que la France reste le pays le plus touché par les attentats islamistes commis en Europe et en Amérique du nord (Lorenzo vidino, the George Washington university, juin 2017).

Personnellement, je suis convaincu que les prétentions des responsables à régler les problèmes profonds de la société en lieu et place des concernés, où l’on a tendance à répondre dans l’émotion et l’urgence aux effets de politiques inadaptées et clivées dans des certitudes, ne pourront jamais donner des solutions meilleures pour l’avenir…Certes « L’Islam doit être en paix avec la république, mais la république doit être aussi en paix avec l’Islam »…Mais pour ce qui est de l’islam, je suis plus que convaincu par ces paroles d’Allah « certes, Nous avons fait descendre le rappel (Coran) et, certes, Nous en sommes le gardien ».

Très cordialement

Mohamed Najib BOULIF.

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